17 mai 2010

Thanksgiving

La forme noire, tapie au centre du plus profond des enfers, attendait en silence. Je la sentais. Je la supposais. Je ne pouvais la voir. Il me fallait la voir. J'invoquai l'aide de Quetzacoatl : qu'il me donne la capacité d'accepter. Il me prit au mot. J'accédai à la Matrice peu après, mais pour la première fois, la porte d'entrée se trouvait tout en-dessous.

Calme, silencieuse, immense, tremblante de puissance contenue. Ses huit pattes bifurquent indéfiniment, pour toucher de leur extrémité le centre-racine de tous les êtres qu'elle tient sous sa domination. Domination de la puissance minérale statique, lourde, infiniment close. Le fait de posséder un corps - ce qui ne pose en soi aucun problème - devient alors, sous la férule de la Mygale, une croix à porter, un fardeau d'une lourdeur implacable.

Constituée de métal granitique dont la densité surpasse tout minéral commun, l'agrippement de la Bête sur la racine de notre système osseux est presque indestructible. Pour chasser de ma tête le Nazi aux lunettes noires, j'avais invoqué Allah-sans-forme; pour défaire la Nonne-Sorcière de mon coeur, la douceur de Jésus; le Cerbère fut chassé de mon ventre par le pouvoir de la parole mantrique. Pour démettre la Mygale, rien de moins que le feu nucléaire de Shiva m'était nécessaire, car la dissociation des points d'agrippements de la Bête doit s'opérer au niveau subatomique. A moins de cela, le pouvoir d'auto-régénération spontané de la Mygale lui permet de se recristalliser sans difficulté, à partir de tout germe résiduel, aussi petit soit-il.

Shiva, sous la forme noire et sauvage d'un danseur nu, apparaît dès son invocation. Je suis pris de l'envie de danser en son nom, de bouger mon corps aux rythmes de sa danse, pour montrer à l'Araignée que je n'ai pas peur d'elle. J'y prends un plaisir profond, lent et sensuel. Chaque pose, d'une élégance pointue, me rappelle l'image de certain danseur balinais ou nippon, pour qui chaque geste est une forme, un symbole, une lettre et un mot. Puis le doute m'advient. Trop beau, trop formel, trop arrogant peut-être. Et dès ce doute exprimé, le voile tombe, et je comprends : ce n'est pas Shiva, c'est Lucifer, orné d'un mensonge. Le maître des enfers, le maître de la Mygale, tente de me duper. Et alors je vois Shiva, le vrai, trônant, pur de claire lumière, au sommet de mon empyrée intérieur.

Alors le feu commençe. Doucement, puis vertigineusement. Il ne s'agît pas d'un feu au sens commun du terme. Le feu vient de la Matrice même, c'est l'expression naturelle de la Matrice, sa qualité de structure vivante. La Mygale tue parce que sous son influence, les échanges entre les atomes du cristal de la Réalité diminuent d'intensité à chaque miroitement. L'information et l'énergie du système diminuent continûment au fil du temps (entropie). La partie de la Matrice qui n'est pas sous la domination immédiate de la Mygale fonctionne à l'inverse : chaque échange d'information/énergie entre n'importe quels points du système additionne ce qui est donné à ce qui est reçu. A dit à B : tu es accompli en tant que B. B répond : l'affirmation que tu viens de produire à mon sujet est accomplie. A répond alors à B : ce que tu viens de me dire au sujet de ce que je t'ai dit est accompli. Et ainsi de suite. Le résultat est une augmentation continue, exponentielle, du niveau d'information/énergie dans le système. La Mygale est seule à pouvoir freiner ce processus. Hors de son champ d'influence, le système est emporté dans le cycle vertigineux d'une auto-confirmation, d'une auto-résonance exponentielles continue. Le niveau d'information/énergie devient vite tellement élevé que, s'il ne s'agissait pas en même temps de confirmation, l'ensemble exploserait. Mais puisque en même temps, chaque échange confirme aux yeux de tous la valeur de réalité de tous, le système reste stable.

J'ai l'impression d'être au centre d'une étoile, subissant en même temps une compression infinie et une explosion infinie. Du point de vue de mon ego (la part de moi identifiée à la Mygale), cette expérience est insupportable. Je me dis sans cesse : c'est sublime, et en même temps : je vais mourir. Je me retrouve alors au seuil de l'abîme. Devant moi, un océan de lumière infini. En moi, un petite voix : "je ne veux pas mourir!". Je me vois disant cela, j'atteste de l'existence en moi de cette petite particule d'ego dont la seule caractéristique est qu'elle "ne veux pas mourir". Et l'instant d'après, pfuut, me voici devenu pure lumière, confondu avec l'océan illimité du réel. Lâcher prise : je ne suis plus rien, et ce rien est une clarté délicieuse sans noyau central, sans aucun point de vue, ce que j'ai toujours été, ce que je resterai toujours, le Dieu en moi, calme et silencieux.

J'y suis. J'y reste. Infiniment, indéfiniment. Au fil du temps, le voile des circonstances s'épaissit, la confusion se mélange à l'inconfusion, le bruit au silence, l'obscur à la lumière incréée. En-deçà de tout ce qui m'advient, je me souviens ...

 

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