Samaël, ange de la restriction et de la Loi, ancien chef des hordes démoniaques, me présenta cette alternative : acceptes-tu - ou non - de participer au domaine de mon mignon, Baal-Zabouth, sergent-chef de l'armée des monstres immondes ? Ce dernier avait posé en mon corps-âme quatre représentants : dans le bassin : une araignée poilue, maître de la possessivité et de l'étouffement; dans le ventre : Kereberos, le chien des enfers, maître de la haine et de l'envie; dans le coeur : une vieille nonne catholique, jaunâtre et sexuellement frustrée (je suppose); dans la tête : un flic sadique portant des lunettes de soleil. Ma réponse fut non : je ne veux plus participer à ce domaine d'existence. Je pensais que cette simple affirmation suffirait. Je ne savais pas que c'était seulement le tout premier pas. Je devais ensuite les rencontrer face à face, un à un, afin de leur signifier mon désaccord.
Le premier que je rencontrai fut Kereberos. Au centre d'une matrice noire et rouge foncé constituée de tubulures métalliques, je lui dis : montre-moi ton visage. Je le vis. Bestiole superbe et ignoble, aggressive, destructrice, haineuse. Je fis la liste de ses "qualités". Je crus cette liste exhaustive. Mais la bestiole continuait de me tordre les boyaux. Je perçus la clé, un mensonge qu'elle insufflait dans mon esprit : tu n'as pas le pouvoir de me chasser de toi. La vérité c'est que : j'ai le pouvoir de la chasser de moi. Je lui répétai vingt fois cette vérité : j'ai le pouvoir de te chasser de moi ... Aux environs de la vingtième répétition, l'engin maléfique fut vomi de mon corps. Ce soir-là, je recouvrai le pouvoir de la Parole ...
En second, je rencontrai le flic. Je sais maintenant pourquoi il porte des lunettes de soleil. Je lui-dis : montre-moi ton visage. Et je vus ses yeux de braise rouge, vibrant de haine profonde contre le genre humain, organisateur d'un réseau de contrôle paranoïaque sur nos existences fortuites, usant de la torture et de tout un mécanisme d'influences tordues pour maintenir notre esprit en esclavage. Les lunettes de soleil sont nécessaire, car sans elles, il ne pourrait cacher la lumière qui trahit son regard. J'invoquai en moi la Présence de Celui qui Est. Tout seul je n'aurais pu ... Grâce à Dieu, le flic fut chassé de ma tête.
Ensuite vint la nonne. Je lui dis : montre-moi ton visage. Derrière les atours d'une catéchumène obséquieuse se cachait la vilaine sorcière qui mange les coeurs, et y verse l'aigre poison de ressentiment, de la revendication et de l'ingratitude. Je dansai sensuellement, en y prenant plaisir, sachant que ça l'agacerait profondément. Je la voyais furieuse. C'était très drôle. Ensuite j'invoquai dans mon coeur Jésus le Christ. Paradoxe de Jésus chassant la nonne hors du temple ...
Finalement vint l'Aragne, la Tarentule au regard éteint, la Mère-ogresse qui étouffe le corps de son enfant et l'empêche de s'ouvrir à la vie. La Terre-Mère, Pachamama, fut ma conseillère dans ce dernier combat.
Quatre forces de lumière répondant à quatre formes obscures. A chaque fois je recouvrai mon pouvoir en demandant au démon de me montrer son visage. Car leur pouvoir sur nos âmes vient de ce que nous ne les connaissons pas. Si nous les connaissons, si nous les reconnaissons, leur pouvoir cesse tout de go. Le décollement, toutefois, n'advient qu'à condition d'invoquer en soi une force impersonnelle inverse à la forme du démon. Car chacun se prend très au sérieux, faisant de tout ce qui leur advient une affaire très personnelle. Cette personnalisation solidifie la matrice obscure en laquelle l'humanité se meut. Seule l'invocation d'une force impersonnelle peut dissocier la puissance de cette cristallisation, et permettre à l'âme de créer une brèche dans la matrice obscure, afin d'accéder à la lumière.
Dans cette lumière, je rencontrai Mon Seigneur, comme je l'avais demandé, sous les atours de Krishna. Je fus étonné de voir cette forme particulière, mais pourquoi pas me dis-je, il est vrai que cette forme est charmante. Je restai à ses côtés un moment. Il ne disais rien. J'attendais. Je finis par m'ennuyer. Je dis : voyons, euh, Maître, ne me montreriez-vous pas quelque apparence merveilleuse de Vous, que je puisse m'extasier un peu, et bénir Votre Nom ? Il répondit en souriant d'un air coquin : bin non, tu as seulement demandé de me rencontrer.
La déception m'advint, un élastique claqua dans ma tête, et je me détendis. Alors l'envie me pris de danser pour Lui. Et je jouis de le voir jouir de me voir danser pour Lui. Puis il dansa en moi. J'étais Lui, Krishna, jouissant de danser pour Lui Seul et pour tous. Ensuite Shiva, puis Ganesha se joignirent à la danse, puis tous les dieux de tous les panthéons du monde dansèrent en cercle autour d'un centre au-dessus duquel flottait la présence d'une lumière que je ne pouvais pas voir, mais dont je voyais les rayons se refléter dans les formes dansantes sous Lui. Elle trônait exactement au-dessus de mon champ de vision. Nul ne peut La voir, car c'est Elle qui voit.
Plus tard dans la nuit profonde, dans le silence d'une cour froide et solitaire, à l'occasion d'un moment de distraction passager, j'oubliai la séparation, et je devins cette Lumière, lentement, tendrement, sans y prendre garde.
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