Je viens d'être informé, par voie intuitive, d'une façon engageante de gérer la question de la souffrance. Cela n'est pas étranger à la façon dont le bodhisattva considère cette question. La compassion du bodhisattva provient d'une sorte d'ignorance : ignorance concernant l'existence d'une frontière qui le séparerait de tous les êtres. Cette perte de faculté discriminatrice l'oblige à traiter la souffrance, non comme un phénomène personnel, mais comme une affaire publique. Ainsi que le bonheur (ceci dit). En substance, la souffrance qu'il sent en lui appartient à tous les êtres. Son corps-âme est le lieu d'une expérience généralisée de la souffrance. Son coeur est comme une membrane sensible qui capterait les moindres fluctuations du champ commun constitué par tous les coeurs de l'univers. Il serait plus judicieux de nommer ici le Coeur commun de l'Univers, écrit au singulier, dont le sien ne serait qu'un fragment local et co-extensif.
Cette participation commune est le fait de tous les êtres possédant un coeur (l'organe psychique). Chacun de nous, bodhisattva ou pas, possède un coeur sensible branché sur le Coeur commun, et percevant à tout instant son état. Et par "état", j'entends la somme de toutes les souffrances et de tous les bonheurs possibles à tout instant. Nous pouvons imaginer la difficulté qui consiste à garder consciemment ce contact ouvert. D'où la solution, choisie par la majorité des êtres, de créer un filtre mental qui dira "non" à cette sensibilité. La différence entre chacun de nous et le bodhisattva, c'est que celui-ci choisit de "ne pas" dire non.
Et voici donc le procédé auquel je pense. Au fur et à mesure que la souffrance auto-générée par mon propre mental se dissout au profit d'une simple sensibilité à ce qui est, mon coeur devient le lieu d'une expérience de co-extensivité de la souffrance. Toute souffrance émotionnelle me touchant et me traversant peut être considérée dès lors comme une souffrance commune. A l'endroit où je souffre, dix millions d'êtres souffrent simultanément. Ma souffrance - à condition donc qu'elle ne soit pas de nature narcissique - est comme une antenne, un point de contact me permettant de partager mon être avec tous les êtres. Mon doute est le doute commun, ma tristesse, la tristesse commune.
Si je choisis de m'ouvrir à telle possibilité, à l'embrasser dans le creux de mon espace intérieur avec joie et gratitude, je vois que ma joie, ma gratitude, sont autant de senteurs positives et lumineuses dont la qualité pénètrent et transmutent la qualité vibratoire de ma souffrance. L'acceptation de la souffrance, ce n'est déjà plus tout à fait de la souffrance. Et conséquemment, dix millions d'êtres peuvent jouir, simultanément de cette transmutation. Ma souffrance est le lieu intérieur où je puis transmettre ma lumière à tous les êtres partageant avec moi ce moment particulier de l'histoire. Mon coeur est non seulement le lieu où je reçois la question, mais aussi le lieu où je transmet la réponse. Cela va dans les deux sens. Merci (donc).
Merci à toi. C'est très bô. Rafraîchissant aussi...Continue! Je me sens gourmande de tes écrits!
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