23 mars 2010

Mensonge

D'abord le souvenir, sous la forme d'un nuage noir, gris cendré, opaque et lourd, veiné de formes fugaces qui ne présagent rien de bon. Je comprends la cause : trente années de cannabis ont invoqué sur moi la cendre et la tristesse. Je flaire la source... Je me vois sous la forme d'une entité simple, unicellulaire, demandant asile et bienveillance auprès de la paroi de chair où pulse la chaleur et l'amour. Là, ça dit oui, comme une tigresse dit oui quand elle offre ses mamelles, sans arrière-pensée. Mais là-haut ça dit non. Enfin pas tout de suite. Il faudra que là-haut ça sache. Et quand ça saura, ça dira non. Première rupture.

Ensuite, bien plus tard, quand tout ça saura parler, échanger des propos, se toucher, se flairer le cul, celle qui a dit oui dans le ventre et non dans la tête aura horreur du non qu'elle aura dit - vu que ça fait pas très clâsse dans un curriculum - alors ça mentira, ça dira : tu sais, je t'ai beaucoup aimé. Ou : tu sais, je t'ai beaucoup désiré. Que du mensonge. Mais pas n'importe où le mensonge. A la racine de la racine du sentiment que j'ai d'être moi. Là ça ment. Et ça a menti. 48 ans. Jamais au fait de moi-même. Toujours ce léger décalage, une sorte de déhanchement subtil et élégant qui n'était que le signe de mon incapacité à dire vrai. Ah mais joli le déhanchement. Fascinant, séduisant, pervers.

Alors quand ça a fait toc ! juste après ça a fait bardaf !, et ensuite, un petit peu après, quand ça s'est détendu, ça a fait ouin ! Beaucoup ouin ! Comprenez, pour une fois que ça disait vrai, fallait bien que ça sorte ...

Alors oui je lui pardonne, un peu, sans doute, pourquoi pas. Elle ne savait pas, ou peu. Moi non plus. Et je vois où le mensonge m'a mené : ce voile noir et lourd, entre moi et les autres, un labyrinthe de sens dont je gardais la clé précautionneusement. Et ça étouffait. Et ça craquait de pus vivace. Bon, ça bouge un peu mieux maintenant. Je me sens plus lourd, plus lent, plus calme. Moins de choses à prouver. Et dans le fond de mon corps assagi, j'entends les rumeurs d'un nouveau songe s'éveiller tout doucement ...

 

3 commentaires:

  1. Très belle et courageuse mise à nu. Cela me fait penser que parfois (souvent ?) quand le mensonge est là, le secret de famille n'est pas loin. Anyway, wish you a good trip without lies !

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